FR. La catégorie des « portraits » photographiques semble pouvoir faire l’économie de commentaires introductifs. Pourtant, nous savons bien qu’au travers des visages saisis, il est bien davantage donné à voir que le photographié et même derrière lui le photographe. Il s’agit ici de restituer au travers de visages d'inconnus, ravinés par les épreuves sociales et individuelles, une humanité sensible qui tend ordinairement à demeurer invisible. Ce symptôme de disparition touche plus particulièrement les femmes âgées "démonétisées" au fur et à mesure de l'érosion de leurs attraits érotiques. Les hommes sont mieux préservés car la masculinité est socialement construite sur des bases reposant moins sur l’attraction physique que sa détention de divers pouvoirs (argent, force, position sociale, etc.).
Les minorités ethniques asiatiques subissent une autre forme de mise à distance. L'étrangeté et le puissant exotisme qu’elles dégagent font paradoxalement disparaître l’individu derrière ses apparences niant ainsi sa singularité. En outre, elles sont fréquemment considérées par les populations majoritaires des pays du sud-est asiatique comme une survivance du passé d'une Asie folklorique, lointaine et qu'on souhaiterait effacer. Elles seraient imperméables au progrès contribuant ainsi à leur stigmatisation. Vieillesse, femmes, ethnies minoritaires, ces trois dimensions se combinent et se renforcent comme autant d'éléments d'effacement de l'espace social. L’intersection de ces trois dimensions fonctionne donc comme un vecteur d'une disparition, disparition ressentie souvent douloureusement. Ma démarche ne vise pas à la dénonciation mais cible les rapports d’altérité où s’entrecroisent les statuts sociaux de personne âgée, de minorité ethnique et de genre.
Au-delà de ce qui nous sépare, semblent exprimer ces visages usés, ce qui nous rapproche est bien plus au fondement de notre « moi-individu ». Ils révèlent une dignité empreinte d'une lourde gravité due à des conditions de vie souvent précaires. Ils illustrent avec à propos la réflexion de Lévi-Strauss : ce qui nous rapproche est bien plus important que ce qui nous sépare… en tant que groupes mais aussi comme individus confrontés aux expériences douloureuses accumulées au cours d'une vie. Il est bien difficile de vouloir cerner exhaustivement ce que ces portraits nous renvoient de cette humanité, portraits qui agissent comme autant de miroirs coupants reflétant les expériences intimes de notre propre monde.
EN. The category of photographic "portraits" seems to be able to omit introductory comments. However, we know that through the faces seized, it is much more given to see that the subject and even behind him the photographer. It is a question here of restoring, through the faces of strangers, gullied by the social and individual trials, a sensible humanity which tends ordinarily to remain invisible. This symptom of disappearance particularly affects older women "demonetized" as erosion of their erotic attractions. Men are better preserved because masculinity is socially constructed on bases relying less on physical attraction than its possession of various powers (money, strength, social position, etc.).
Asian ethnic minorities suffer another form of distancing. The strangeness and the powerful exoticism they emit paradoxically make the individual behind his appearances deny his singularity. In addition, they are frequently considered by the majority populations of Southeast Asian countries as a survival of a distant past, far-flung folklore Asia. They would be impervious to progress thus contributing to their stigmatization. Old age, women, minority ethnic groups, these three dimensions combine and reinforce each other as elements of the erasure of the social space. The intersection of these three dimensions thus functions as a vector of a disappearance, disappearance painfully felt. My approach is not aimed at denunciation, but targets the relationships of otherness where the social status of the elderly, ethnic minority and gender intersect.
Beyond what separates us, seem to express these worn-out faces, what brings us closer is much more the foundation of our "self-individual". They reveal a dignity of heavy gravity due to often precarious living conditions. They illustrate the reflection of Lévi-Strauss: what brings us together is much more important than what separates us ... as groups but also as individuals confronted with the painful experiences accumulated during a lifetime. It is very difficult to want to comprehend exhaustively what these portraits send back to us from this humanity, portraits that act like so many sharp mirrors reflecting our intimate experiences and our own world.