FR. Cette série se signale par une violence implicite qui s'impose avec évidence à l’observateur. Le paradoxe est idéal-typique car le rouge sombre de ces poissons renvoie davantage à celui du sang que de l’animal d’une compagnie innocente et enfantine. Les poissons dénotent l’inquiétude et le tumulte qui les habitent et les poussent à des comportements furieux dans un espace étouffant. La concentration, à laquelle ils sont soumis, paraît incompréhensible et instille un malaise sourd. Les yeux sont exorbités, et leurs gueules ouvertes semblent pousser un cri inaudible. Ces êtres paraissent condamnés à exprimer à jamais leurs souffrances sans jamais être entendus. La puissance oppressante, la sombre malédiction demeurent dans une ombre épaisse.
Les poissons forment une multitude dans toute leur diversité mais que relie la proximité de leur espèce. Ils se pressent et s’étouffent sous l’effet d’une cause masquée. Ils suggèrent une ou des allégories sociales : individus formant une masse obscurément opprimée, soumise à une violence politique et sociale, en proie à une révolte sans structure et peut-être sans avenir. Les vies sont bouchées, stéréotypées, et les conditions de l'oppression reproductibles par une funeste malédiction.
L'oppression provient-elle d'un dictateur ou est-elle le fruit systémique d'une politique du "raisonnable" conduisant à sa reproduction ? Ou peut-être faut-il la rechercher dans les pulsions sociales et intimes qui nous agissent ? Car cette relation d'oppresseur et d'oppressé pourrait être endogène à l'individu lui-même dans le cadre social que nous connaissons. De fait, ce qui anime ces êtres tendus pourrait tout aussi bien être la course d'avance perdue à la reconnaissance, à la "réussite" ou dans un autre registre à l'amour. L'identification de la cause est au centre de ces photos néo-pictorialistes cruelles que (toutes proportions gardées) Le Titien pourrait contempler avec délectation.
Les apparentes évidences découlant de l'observation de ces images génèrent en réalité des disparités d’interprétation selon chaque observateur et ramènent à nos grilles de lecture intimes. Ces grilles habituelles, devenues des mécaniques incorporées, nous structurent et nous enferment à notre tour dans un espace mental réduit, pauvre et étriqué où l’on se débat de façon pitoyable. La boucle est ainsi bouclée dans une logique sans espoir d'une course qui nous ramène inéluctablement à notre point de départ.
Le contexte des photographies : Les images ont été prises dans les bassins du temple bouddhiste chinois d'Udon Thani en Thaïlande en novembre 2022. Ce sont des carpes koï dont raffolent beaucoup d'asiatiques pour leurs aspects esthétique et symbolique.
EN. This series is marked by an implicit violence that imposes itself on the observer. The paradox is ideal-typical because the dark red of these fish refers more to that of the blood than to the animal of an innocent and childish company. The animals denote the anxiety and tumult that inhabit them and push them to furious behavior in a suffocating space. The concentration to which they are subjected seems incomprehensible and instils a discomfort. The bulging eyes, their open mouths seem to utter an inaudible scream. These beings seem forever condemned to express their sufferings without being heard. The oppressive power, the dark curse remain in a thick shadow.
The fish form a multitude in all their diversity but that connects the proximity of their species. They crowd and choke under the effect of a hidden cause. They constitute one or more social allegories that are obvious: individuals forming a mass obscurely oppressed, subject to political and social violence, in the grip of a revolt without structure and perhaps without a future. Lives are clogged, stereotyped, and conditions of oppression reproducible by a deadly curse.
Does the oppression come from a dictator or is it the systemic fruit of a "reasonable" policy leading to its reproduction? Or perhaps it must be sought in the social and intimate impulses that act to us? For this oppressor and oppressed relationship could be endogenous to the individual himself in the social context we know. What animates these tense beings could just as easily be the advance race lost to recognition, to "success" or in another register to love. The identification of the cause is at the center of these cruel neo-pictorial photos that (all things considered) Titian could contemplate with delight.
The apparent evidences resulting from the observation of these images actually generate disparities of interpretation according to each looking and return to our intimate reading grids. These usual grids, which have become mechanical, lock us in a reduced mental space, poor and stuffy, where we struggle pitifully. The loop is thus closed in a hopeless logic of a race that brings us back to our point of departure.