FR. Les personnages vont par deux, parfois en groupe, ou sont isolés. Ils s'égrènent le long de l'eau étirant mollement leur journée. Ils sont plongés dans la contemplation de l'inutile. Le plus souvent les vagues roulent de façon morne et sans éclat. Chaque silhouette se détache distinctement sur cette grande étendue vide que forment la plage, la mer et le ciel. Les jeux de mer au milieu de l'hiver renforcent le sentiment d'incongruité et de viduité qui se dégagent de ces images.
Les adultes semblent avoir refusé de grandir illustrant avec une touche d'absurdité le syndrome moderne de Peter Pan. L'ennui affleure de ces situations. Les occupations paraissent tristement joyeuses, empreintes de la maladresse des premiers congés payés. Les personnages sont en attente d'un événement qui ne vient pas. Ils errent sans but, sans raison, à la recherche d'un ailleurs et d'un enchantement qui se dérobent. Ils vont comme autant de Don Quichotte désarçonnés qui se seraient perdus dans le Désert des Tartares de Buzzati...
Les photos sont prises sur la plage de My Khé à Danang, lieu où la garnison américaine a essuyé une lourde défaite lors de la guerre du Vietnam face au Vietcong. C'est maintenant un front de mer où les hôtels et restaurants touristiques pullulent. Toutefois, ici les personnages sont hors de l'Histoire. Plus d'héroïsme, plus de larmes, plus de sang, de chairs et de raisons maltraitées, seulement la grisaille ordinaire des jours qui s'écoulent pareils à eux-mêmes. Ces silhouettes demeurent refermées sur elles-mêmes détenues par une intériorité cannibale.
La poésie de Shoji Ueda paraît colorer ces images au lointain cousinage. En réalité, ici le monde s'est sensiblement modifié pour déboucher sur une impasse existentielle refermant sans bruit l'innocence de l'enfance. Le surréalisme ludique et la poétique esquissée si finement par ce maître japonais ont en grande partie disparu. Il reste un absurde commun mais ici le désenchantement insidieux teinte discrètement ces scènes. Le travail photographique renforce l'impression de futilité des actes des protagonistes, de leur disparition discrète, inéluctable et sans heurt.
EN. The characters go in pairs or are isolated. They are scattered along the water. Most often the waves roll in a dull way, without any glare. Each silhouette stands out distinctly on this vast empty expanse that form the beach, the sea and the sky. Sea games in the middle of winter reinforce the sense of incongruity and emptiness that emerges from these images. They are practiced by adults who have refused to grow illustrating with a touch of absurdity the syndrome of Peter Pan. Boredom comes out of these situations and the occupations seem sadly cheerful, marked by the awkwardness of the first paid holidays. The characters are waiting for an event that does not come. They wander aimlessly, without reason, in search of an elsewhere that is hiding. They go like so many Don Quixote who would be lost in the Desert of the Tartars of Buzzati ...
The photos are taken on the beach of My Khé in Danang, where the US garrison suffered a heavy defeat in the Vietnam War against the Vietcong. It is now a waterfront where hotels and tourist restaurants abound but the characters are out of history. No more heroism, no more tears, no more blood, no more flesh or mistreated reason, only the ordinary greyness of the days that flow like themselves. These silhouettes remain closed on themselves taken by a cannibal interiority.
The poetry of Shoji Ueda seems to emerge in these images to obvious cousins. In reality, here the world has changed significantly to lead to an existential impasse noiselessly closing the innocence of childhood and playful surrealism sketched by this Japanese master. It remains a common absurd but here an insidious disenchantment discreetly colors these images.